Fête de la Terre et de la Ruralité — Diocèse de Coutances

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Fête de la Terre et de la Ruralité

Festival de la Ruralité et de la Terre 2022

Lire l'homélie de Mgr Laurent Le Boulc'h prononcée lors du Festival de la terre et de la ruralité à Ecausseville le dimanche 4 septembre 2022.

« De grandes foules faisaient route avec Jésus » raconte Luc dans son évangile. On se dit alors que Jésus devrait se réjouir. Mais le Christ n’est pas à l’aise devant ce mouvement de masse. Il sait que les foules sont souvent superficielles, capables de brûler celui qu’elles viennent d’adorer. « Jésus se retourne ». Et il adresse aux foules une étonnante mise en garde.

La parabole de Jésus invite ceux et celles qui voudraient s’engager à commencer par mesurer leurs forces. Avant de construire une tour ou de se risquer au combat, il vaut mieux s’asseoir pour vérifier ses forces si l’on ne veut pas courir à l’échec et passer pour un prétentieux. Tout engagement fort et décisif appelle ainsi à la prudence du discernement. Ce que dit Jésus ici nous paraît être une simple question de bon sens !

Or, frères et sœurs, quand on y prête attention, la parabole de Jésus se révèle paradoxale. Car, si l’évangile invite de fait à calculer ses forces et ses chances de réussite avant de s’engager, il précise aussi que cette vérification des moyens et des forces n’a de sens que pour vivre un renoncement. « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple » dit Jésus au commencement et à la fin de la parabole. Voilà un bien étrange message : d’un côté, il faut vérifier ses forces et ses moyens ; de l’autre, il faut renoncer à tous ses biens et se dépouiller. D’un côté donc, la force, et de l’autre, la faiblesse !

Frères et sœurs, cette apparente contradiction de l’évangile nous place devant une vérité profonde. Une vérité que nous connaissons bien, mais que nous avons en même temps beaucoup de mal à vivre. La parabole de Jésus laisse ici entendre que la force la plus nécessaire dont nous ayons besoin pour suivre le Christ et l’Évangile, et qu’il faut surtout bien vérifier avant de s’engager, serait notre capacité à renoncer. La condition nécessaire pour suivre Jésus et son évangile, c’est avoir en soi la force de renoncer.

Or, justement, renoncer ne va pas de soi pour nous. Cela ne va pas de soi d’autant que nous vivons encore dans une époque marquée par une extraordinaire accumulation de biens et de capacités. Cette croissance exponentielle vécue depuis l’après-guerre imprègne notre société, nos mentalités et nos modes de vie. Que de changements vertigineux en quelques dizaines d’années seulement ! Les plus anciens parmi nous s’en souviennent ! Jamais l’humanité dans son histoire n’aura connu une telle évolution ! Elle concerne toutes les dimensions de nos vies, pour le meilleur bien sûr, mais aussi parfois pour le pire.

Cette période d’accumulation intense et rapide connaît aujourd’hui ses limites. Nous prenons conscience des effets secondaires négatifs que cette quête incessante du ‘toujours plus’ provoque dans l’existence des hommes et de la création. Les ressources de la planète s’épuisent, des équilibres sont rompus. Notre société doit alors affronter une mutation difficile et exigeante. La libération tous azimuts des contraintes physiques, économiques, collectives ou morales, qui a tant marqué notre culture récente, doit faire place à la nécessaire régulation des libertés, à l’apprentissage des limites, à l’écoute respectueuse de l’autre et de la nature. La sagesse nous appelle à maîtriser nos désirs de posséder et de dominer. Nous devons humblement apprendre à renoncer à certaines prétentions, et cela n’est guère facile.

Cette question n’échappe pas à l’agriculture, tant celle-ci concentre sur elle les attentes si diverses et souvent contradictoires de notre société. L’agriculture est devenue un des lieux emblématique et parfois fantasmé de nos désirs. L’invitation à la sagesse de l’évangile rejoint les réalités de notre monde rural.

L’appel de Jésus à savoir mesurer ses forces avant de s’engager pour ne pas se bercer d’illusions ou se croire tout puissant, parle au monde agricole. Par exemple, il est clair que s’installer en agriculture aujourd’hui ne s’improvise pas. Un tel projet demande de grandes réflexions et de lourds préparatifs. Mais, n’est-ce pas aussi le métier d’agriculteur en lui-même qui exige de grandes capacités à savoir prévoir et à anticiper sans cesse !

Dans l’évangile, Jésus invite à prendre le temps de vérifier ses forces pour mesurer ses capacités à vivre un renoncement. Cette précision rejoint la question agricole aujourd’hui. Quelles que soient les diversités légitimes des projets et des visions, la nécessité d’une approche douce, respectueuse et durable de l’agriculture s’impose à tous. N’est-ce pas d’ailleurs cela qui fait la beauté du métier d’agriculteur quand il témoigne d’un véritable amour pour tout ce qu’il cherche à lever ou à élever, les semences et les bêtes, pour nourrir l’humanité ? Encore faut-il que les moyens lui soient donnés pour vivre cette belle vocation.

Frères et sœurs, cet appel de l’Évangile à vérifier nos capacités pour savoir renoncer concerne aussi chacun d’entre nous. La sagesse de Jésus nous appelle à renoncer à désirer tout avoir, tout savoir, tout pouvoir. Elle nous appelle à renoncer à ce désir de toute puissance, tellement enfoui et tenace en nous, et qui conduit trop souvent à l’orgueil et au mépris des autres et de la terre, à la fermeture à Dieu.  

Nous comprenons alors que l’art de vivre auquel le Christ nous appelle est un don spirituel. Cet art de vivre avec humilité dans le respect pour tout ce qui nous est donné par le Créateur, exige de fait une grande force spirituelle. Car le Christ ne demande pas moins aux disciples qui veulent le suivre que de vérifier s’ils ont en eux la force de quitter la toute-puissance ! Mais, il faut beaucoup de force pour ne pas céder à la puissance !

De cela, nous pouvons en être témoins chaque jour. Nous savons, par exemple, combien ne pas répondre au mal par le mal, ne pas céder à la vengeance et accorder un pardon, ne pas prétendre avoir des droits sur autrui et respecter la vie, exigent une grande force intérieure. Au point que cela semble impossible aux yeux de certaines personnes. Oui, frères et sœurs, elle doit être forte la force de celui qui sait résister à la puissance qui écrase.

Cette force si particulière ne peut venir que de Dieu. Elle est la force de l’Esprit Saint en nous. Elle se donne à celui qui sait préférer le Christ à tout. « Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. » dit encore l’évangile.

Ce n’est pas que la préférence pour le Christ conduise à la haine ou au refus des proches. Au contraire, l’amour préférentiel pour Jésus doit conduire les chrétiens à aimer d’une manière plus juste et plus vraie chacun de leurs frères et sœurs. Aimer les autres avec et dans le Christ est la plus belle manière pour nous de les aimer, puisque l’Évangile purifie en nous le désir de puissance sur eux. 

Frères et sœurs, ce matin, dans l’Eucharistie, proclamons alors notre amour pour le Christ Jésus. Demandons-lui de nous aider dans l’Esprit Saint à renoncer à la toute-puissance dans nos vies. Qu’il nous aide à aimer d’une manière plus juste et plus vraie, plus évangélique, nos frères et sœurs, et toute la création de Dieu. Que l’Esprit soit la force donnée à tous les acteurs du monde rural pour qu’ils témoignent ensemble de la belle sagesse de l’Évangile. Aux hommes et aux femmes qui s’interrogent chez nous sur l’avenir social et ecclésial du rural, que dans nos villages, l’Esprit Saint suscite dans le cœur des habitants le courage et la joie de se lier pour agir ensemble. Car, frères et sœurs, contre l’illusion du chacun pour soi ou du ‘tombe du ciel’, « il ne peut y avoir de lieux vivants sans liens entre tous les vivants ». Amen.

Pour aller plus loin :

Extraits du mot de remerciement du père Cyril Moitié : 

« Chers membres de l'APA et des JA, chers agriculteurs actifs et retraités, selon votre tradition, vous avez voulu cette messe des laboureurs pour inaugurer votre festival. L'Église vous y rejoint par notre évêque et nous tous. Oui, vraiment, l'Église s'intéresse à vous, à votre vie, à votre profession de la terre. Votre Église s'intéresse à la vie du monde rural, à vos problématiques, à votre avenir. Alors, nous continuerons à vous rejoindre, à vous visiter, à marcher à vos côtés dans les joies et aussi avec vos questions. Vous êtes importants pour nous. Oui, vraiment, nous allons continuer à chausser nos bottes pour être présents à la vie de vos exploitations, présente au coeur de notre cher monde rural. Notre présence est avant tout un signe humble mais concret de la fraternité voulue par le Crrist jésus. Merci à tous pour votre engagement ! »