Conte de Noël : « Noël à la Pointe du Rocher » — Diocèse de Coutances

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Conte de Noël : « Noël à la Pointe du Rocher »

Jean-Claude Laurent

Texte : Robert Courvoisier - Illustrations : Jean-Claude Laurent

La pointe du Rocher est une petite presqu’île. Elle est reliée à la terre par une route étroite bordée des deux côtés par de jolies plages. Sur ce petit promontoire, se dressent une dizaines de modestes résidences secondaires aménagées dans d’anciens hangars de pécheurs. Le site était bien choisi : suivant les vents, les pêcheurs lançaient leurs barques sur la plage à l’Est, ou de l’autre côté à l’Ouest. Aujourd’hui, ce sont les vacanciers qui choisissent la plage abritée du vent pour se baigner.
Dans l’eau, une famille de phoques a trouvé son bonheur. À l’automne, les volets des maisons tombent comme les feuilles mortes et tout le monde part… Tout le monde sauf Coline qui s’y est installée à l’année après la mort de son mari. Bien qu’ayant atteint la quatre-vingtaine, elle garde toujours son caractère tonique et incisif. L’hiver, elle est seule sur ce promontoire, isolée de tout et sans communications. À l’époque, les téléphones fixes sont rares et, bien sûr, pas de portables. Mais, entourée d’eau, profitant de superbes levers et couchers de soleil, elle est heureuse car la mer, c’est sa vie, c’est son passé, c’est son présent, c’est son futur. C’est son passé où elle a navigué sur le voilier familial pendant de nombreuses vacances. Avec son mari et sa fille, ils jetaient des bouteilles à la mer remplies de petits mots pour ceux qui les découvriraient. C’est son présent : elle admire le mouvement incessant de la mer, les changements de couleurs et chaque jour elle va prendre un bain en faisant attention de ne pas déranger les phoques. C’est son futur : il y a plus d’un an maintenant que sa fille est partie avec son ami faire le tour du monde sur leur voilier. Et toujours pas de nouvelles. Alors, elle scrute l’horizon espérant voit apparaître la silhouette familière du bateau. Les fêtes religieuses, elle ne connaît pas, mais, attention, le 14 juillet, ça y va : elle invite tous les voisins et ses amis à un barbecue suivi d’un feu d’artifice. C’est devenu une tradition.

L’hiver est là et les jours sont au plus courts. En ce soir de décembre, le ciel est étoilé, mais la météo annonce une brusque dégradation avec de fortes chutes de neiges pour le milieu de la nuit. De loin, comme un phare, on peut voir la lumière que Coline a allumé dans sa petite maison. Elle n’est pas grande : il y a sa chambre, une salle-cuisine avec un canapé et un cabinet de toilette. Des coups frappés à sa porte troublent le calme. Comme toujours elle ouvre et voit un homme hirsute. « Je suis Pierre, dit-il, un pèlerin. Les sœurs du village voisin, n’ont pas voulu m’ouvrir leur porte. Alors, j’ai continué ma route et j’ai vu votre lumière. J’ai pensé que vous pourriez m’héberger cette nuit. ». Sans aucune hésitation, Coline le fait entrer et lui montre le cabinet de toilette. Puis ils dînent ensemble. Le discours de Pierre est tellement « abracadabrantesque » qu’elle n’en croit pas un mot. L’heure avançant, elle installe le divan et lui dit bonne nuit en partant s’enfermer dans sa chambre.
Dans son lit,  une pointe d’angoisse la traverse : la voilà seule avec cet homme de l’autre côté de la cloison. Mais cela ne l’empêche pas de s’endormir rapidement. C’est rarissime, mais cette nuit là, elle a envie d’aller aux toilettes. Pour ce faire, il faut passer devant le canapé. Pas question, alors elle enjambe la fenêtre et se retrouve au bord de l’eau. À l’est , le ciel est encore étoilé. Mais à l’ouest une barre sombre annonce la perturbation. Une fois son besoin satisfait, elle aperçoit les phoques. Ils ont l’air de jouer au ballon. Au loin, on entend les cloches de l’église sonner. Elle pense que ce n’est vraiment pas une heure pour carillonner et dit : « Ils sont fous ces chrétiens ». Puis, d’un coup de queue bien visé, un phoque l’éclabousse et un objet tombe à ses pieds. Elle le ramasse et rentre au chaud dans sa chambre. C’est une bouteille avec un message.

Un peu fébrile, le rythme de son cœur augmente en même temps que les rafales de vent. Elle ouvre et lit : « Ami inconnu , la vie est remplie de petits bonheurs. Aujourd’hui, tu en as sûrement vécu un qui te permettra de vivre demain ». Ses jambes tremblent, la tempête forcit. Voilà une bouteille qu’elle avait jetée à la mer il y a quelques années avec son mari. Certes, elle ressent un peu de nostalgie, mais surtout, elle est heureuse, heureuse d’avoir pu vivre tout ces moments. C’est du passé, mais le bonheur est toujours là. Elle a du mal à se rendormir, mais le léger ronflement de Pierre finit par la bercer.

Quand elle se réveille, le jour est déjà bien levé. Il y a un grand silence ouaté inhabituel. En se dressant sur son lit, elle voit qu’une abondante couche de neige entoure sa maison. Elle entrouvre doucement la porte de sa chambre et regarde si Pierre dort encore, mais le canapé est vide, il n’y a plus personne. Par la fenêtre, sur le chemin qui mène à la terre, il y a des traces de pas dans la neige. Pierre, le pèlerin, a dû partir. De nouveau, les cloches se mettent à sonner. Sur la table, elle voit un mot : « Merci pour votre hospitalité et joyeux Noël. Pierre ». Hé oui, aujourd’hui, c’est Noël, elle n’y a pas du tout pensé mais comprend pourquoi les cloches ont sonné pendant la nuit. A côté du mot, il y a une enveloppe qu’elle ouvre rapidement. Sa fille lui annonce : « Nous serons avec toi pour fêter le prochain 14 juillet ». Dehors, la tempête s’est calmée, mais dans son cœur, elle redouble. Quelle succession d’évènements aussi inattendus que mystérieux. Coupée du monde par l’épaisse couche de neige, elle sent alors le calme revenir. Une paix sereine et profonde s’installe en elle et la joie rayonne sur son visage. Mais ne lui dites surtout pas qu’elle est remplie de la Paix de Noël, car elle vous jetterait en pâture aux phoques de la pointe des rochers !

Robert Courvoisier