Vers un monde de COVIVANCE — Paroisse Saint-Vincent-de-Paul de Montmartin

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Vers un monde de COVIVANCE

La crise sanitaire actuelle est la preuve que nous avons rompu ce miroir analogique entre notre corps et celui du monde. Et que cette « co-vivance « doit être recréée. - Mariette Darrigrand

Il est tentant de vivre la crise actuelle comme la fin du monde. Je crois qu’elle en est au contraire le retour. Il est là et bien là, le monde, en ce moment. Monde blessé, monde dysfonctionnant, mais monde tout de même.

Le monde n’est pas la ‘mondialisation’. Mondialisé, le monde disparaît. Il n’a plus de corps : plus de contours. La mondialisation en donne une représentation surréaliste sur le modèle des montres de DALI. Dans un espace en expansion permanente et infinie, le temps perd sa structure. Il devient un beurre fondu sans consistance : présent d’éternité, étiré d’un bout à l’autre de la planète, faisant se rejoindre des humains pour un même travail ou une même consommation médiatique (un grand événement sportif par exemple). La montre molle contre l’horloge cadrante, voilà bien comment l’on passe du monde à la mondialisation.

En ce moment, nous avons une heure par jour maximum pour faire le tour de notre village ou de notre pâté de maisons. Ce minuscule espace chronobiologique, nous pouvons ne pas l’utiliser : un grand nombre de gens ne sortent pas durant trois au quatre jours, s’imposant un confinement que le gouvernement n’a pas demandé – besoin de gouverner son corps après tant d’années de « libération » ? Nous pouvons aussi le fractionner : un quart d’heure par ci, un quart d’heure par là : baguette, cigarette, canisette…. Nous pouvons enfin le vivre selon notre pente habituelle. Personnellement, j’ai besoin d’une petite chasse aux signes pour ma promenade. Hier, j’ai traqué sur les devantures fermées, les pancartes rédigées à la main qui portaient la mention « Jusqu’à nouvel ordre »…  Je voulais y lire les variantes sous le motif. Le Covid-19 nous obligeant à fermer l’établissement jusqu’à nouvel ordre, prenez soin de vous et de vos proches… Le salon ne peut vous recevoir pour cause d’épidémie jusqu’à nouvel ordre, désolés de la gêne occasionnée… Sur décision gouvernementale, votre caviste a fermé ses portes jusqu’à nouvel ordre. A bientôt, n’oubliez pas d’applaudir les soignants…

Une commerçante qui ouvre à temps partiel, et à qui je pose la question, me répond que non, Jusqu’à nouvel ordre n’est pas une mention obligatoire, mais qu’elle personnellement elle l’aime bien parce qu’elle lui fait penser que demain une autre directive gouvernementale tombera : qu’un ordre nouveau sera donné… Elle confirme involontairement mon inquiétude : « Ordre nouveau », oui, c’est bien cet énoncé détestable qui peut s’entendre sous la formule Jusqu’à nouvel ordre.

Etymologiquement, le monde est un ordre. « Mundus » en latin traduit « Cosmos » qui, en grec, désigne un ordonnancement très organisé d’éléments différents. Par exemple les étoiles entre elles : chacune à sa place, elles forment une voute céleste harmonieuse appelée « Climat ». Mais aussi l’organisation desdites étoiles quand elles descendent vers les hommes devenus alors leurs terrestres reflets… Les méridiens énergétiques de notre corps sont comme des voix lactées, la lune fait varier les cycles de nos humeurs, le soleil est ce feu nécessaire à notre croissance, comme à celle des blés…

La crise sanitaire actuelle est la preuve que nous avons rompu ce miroir analogique entre notre corps et celui du monde. Et que cette « co-vivance « doit être recréée. Il nous faut plus exactement la réinventer pour l’époque actuelle à la fois hyper technique et profondément archaïque - double nature qui nous saute aux yeux aujourd’hui.

Co-vivance, je ne sais pas si ce mot est le bon. Peut-être en trouverons-nous un autre…

A mes yeux, il est un bon début pour commencer le travail de représentation de nous-mêmes et du monde, de nous-mêmes dans le monde.

Co-vivance résonne - et raisonne – avec deux notions proches. La première est celle d’INTERDEPENDANCE qu’a expliquée en particulier l’anthropologue Philippe DESCOLA*, pour rappeler la nécessaire harmonie cosmologique de l’humain avec les autres règnes : végétal, animal, minéral, et hors de tout désir de les dominer.

La seconde est celle de SURVIVANCE sur laquelle nous a alerté un autre anthropologue, Marc ABELES**, sensible au fait qu’elle menaçait la CONVIVANCE nécessaire à toute société : ce vivre-ensemble qui disparait sous l’hyper-individualisme, ces pensées des Lumières assombries par les pensées apocalyptiques.

La crise actuelle nous oblige à reprendre les deux concepts en les faisant bouger. L’Interdépendance est installée entre les pays, entre les économies. Mais doit-elle l’être tout autant entre les règnes du vivant ? L’Homme ne doit-il pas fermer les frontières de son corps quand elles jouxtent trop le monde sauvage ? Ne doit-il pas refuser certaines nourritures animales ou végétales si elles sont incompatibles avec la spécificité de sa santé ? Ne doit-il pas également cesser de fantasmer la fusion avec la Nature, désormais appelée Gaïa, comme si elle était une douce Bona Mater… A ce propos rappelons que Françoise DOLTO réservait le terme de covivance au lien mère-enfant pour en montrer la dimension profondément humanisante.

Quant à la Convivance, elle se recrée sous nos yeux en ce moments à travers l’altruisme incroyable des soignants et de tous ceux qui assurent la continuité relationnelle comme dit le philosophe Frédéric Worms***. Mais il faut qu’elle aille plus loin. Qu’elle intègre au vivre-ensemble la question médicale. Ce qui ouvre sur la question abyssale du contrôle des corps et du biopouvoir. Comment exercer ce contrôle des corps sans renoncer à la liberté individuelle ? Comment garder une tutelle collective de l’état en déployant l’auto-responsabilisation ?

Nous sommes devant de grandes questions qui demanderont une dynamique collaborative de haut niveau (et non de façade) entre penseurs et politiques, entre économistes et industriels, entre médecins et spécialistes du corps social, pour qu’un ordonnancement revitalisé de notre monde soit établi.

Dans cette perspective utopique – je préférerais dire utopienne comme dans RABELAIS -, mon souhait serait que nous abordions cette Covivance non dans l’urgence mais dans l’endurance, non dans l’autoritarisme mais dans l’intelligence collective : tous ces trésors d’ingéniosité dont est parfois capable l’être humain.

C’est seulement ainsi que, contre le covid - tous les co-vid -, pourra être brandie l’arme humaniste du Co-vivre.