Bénédiction et inauguration de la Grange de la Paix — Diocèse de Coutances

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Bénédiction et inauguration de la Grange de la Paix

Dimanche 26 juin, a eu lieu la bénédiction et l'inauguration de la Grange de la Paix à Sainte-Mère-Église. Vous pouvez ici relire l'homélie de Mgr le Boulc'h prononcée lors de la messe qui a précédé la bénédiction ainsi que le discours inaugural.

Homélie de Mgr Laurent Le Boulc’h

Frères et sœurs, l’évangile que nous venons d’entendre nous plonge dans la géopolitique du temps de Jésus. Cette histoire de samaritains qui refusent d’accueillir le Christ parce qu’il se rendait à Jérusalem nous transporte dans les conflits de la Palestine du 1er siècle. Jésus voit son visa ou son droit de passage refusé pour cause de guerre froide entre les samaritains et les judéens.

Le Christ s’est donc confronté à ce qui fait encore aujourd’hui le quotidien de tant de gens. Nous pensons bien sûr à la guerre qui frappe l’Ukraine si près de nous, et aux nombreux autres conflits qui bouleversent le monde. Chaque jour se dévoilent à nos yeux les terribles conséquences du mal. La mort emporte les combattants, des civils sont lâchement torturés, abattus, des peuples sont tenus prisonniers, d’autres sont déplacés de force. Notre prière ce soir monte vers Dieu pour ceux et celles qui subissent tant de souffrances.

Dans l’évangile de ce dimanche, face au refus des samaritains d’accueillir Jésus, les apôtres Jacques et Jean sont prêts à sortir l’arme lourde : « que le feu du ciel les détruise ! ». Il y a quelque chose de pathétique dans cette menace des deux frères. On aimerait rire de la prétention naïve des deux disciples, s’il n’y avait là quelque chose de terriblement inquiétant dont nous voyons l’horreur chaque jour. Car, frères et sœurs, dès que des hommes s’imaginent que la puissance divine est une puissance de destruction, il y a danger pour l’homme.

La tentation de croire en un Dieu violent est omniprésente dans la Bible. Pourtant, la longue histoire biblique, et son point d’orgue qu’est la manifestation de Jésus, conduit tout à l’inverse les croyants à recevoir la puissance de Dieu comme une puissance d’Amour. La passion de Jésus présente aux hommes le signe déconcertant d’un Dieu qui prend sur lui la plus grande faiblesse et qui refuse toutes formes de violence. Paradoxalement, Dieu qui se révèle sans puissance est le tout puissant d’amour. Cette puissance de l’Amour divin se révèle dans la résurrection de Jésus, vainqueur du mal et de la mort.

C’est à cause de cette victoire définitive de l’Amour de Dieu en Jésus sur le mal et la mort que saint Paul exhorte les chrétiens de Galate à quitter leurs querelles et leurs égoïsmes mortifères pour entrer dans la vie nouvelle de l’Esprit Saint. « Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres… Marchez sous la conduite de l’Esprit Saint » écrit-il.

Frères et sœurs, que deux apôtres de Jésus aient été tentés, malgré leur compagnonnage avec le Maître, de régresser dans la croyance en un Dieu de violence et de destruction est une alerte pour nous. Le récit de l’évangile nous appelle à la vigilance. Il nous donne de comprendre que la conversion au Dieu de paix de Jésus n’est jamais acquise une fois pour toutes. Nous aurons toujours à nous laisser convertir par l’Évangile du Christ. Il nous faudra toujours cheminer.

Quand des hommes s’imaginent que la puissance divine est une puissance de destruction, il y a danger pour l’homme. Ce danger redouble quand des croyants s’imaginent être eux-mêmes détenteurs de la puissance divine. « Veux-tu que nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? » demandent Jacques et Jean, comme s’ils étaient les maîtres de la puissance du ciel, comme si la bombe divine leur appartenait. Il ne leur manquait plus que l’autorisation de Jésus pour déclencher le feu.

Les disciples Jacques et Jean se sont installés dans la toute-puissance. Ils sont habités par la prétention puérile de se croire des sorciers ou des petits dieux, des manipulateurs de la puissance divine, comme s’ils détenaient la capacité de faire tomber le feu du ciel : « Veux-tu que nous fassions tomber sur eux le feu du ciel ? ». Jacques et Jean réagissent comme de grands enfants irresponsables. De grands enfants, mais des enfants terriblement dangereux !

Comment ne pas voir aujourd’hui combien cette illusion de toute-puissance est présente et mortifère ? Alors que l’on pensait les hommes devenus raisonnables, voici qu’ils sont pris de folie. Extrémismes, fanatismes, fondamentalismes et intégrismes de toutes sortes progressent partout dans le monde. Des hommes, au nom de leurs religions, s’installent dans une toute puissance destructrice. Au nom de Dieu, ils sombrent dans l’extrême violence, comme s’ils avaient droit de vie et de mort sur leurs contemporains, comme si croire en Dieu leur donnait pleins pouvoirs sur leurs frères et sœurs.

L’évangile de Luc raconte que Jésus se retourna et interpella vivement ses disciples. Ces derniers auront encore un long chemin à faire pour entrer dans la voie de l’Évangile. Jacques et Jean devront se convertir au Dieu du Christ. Jésus devra continuer de les initier pour extirper de leurs cœurs les racines de l’intolérance et du sectarisme.

 

Frères et sœurs, dans notre monde qui semble céder de plus en plus aux affrontements, le témoignage d’évangile des baptisés et de l’Église passe par un engagement persévérant à servir le dialogue, la paix et la réconciliation. Dans nos sociétés menacées de fractures sociales et culturelles, où les divisions défient la cohésion et la paix sociales, l’Église reçoit du Christ la mission de rejoindre et de relier les hommes. Son témoignage est urgent pour notre temps.

Pour répondre à cet appel, l’Église de Coutances et Avranches s’est lancée dans la construction de la Grange de la Paix. En ce lieu emblématique qu’est Sainte-Mère-Église, dans notre monde actuel, travaillé par des forces de division et de violence, l’Église veut prendre sa part dans la responsabilité de l’humanité d’éduquer à la fraternité, la justice et la paix.

Frères et sœurs, disciples de Jésus, nous sommes tous concernés par le défi de la paix dans notre monde. Nous sommes tous appelés à en devenir les serviteurs concrets, de générations en générations. Nous venons d’entendre le récit biblique du prophète Élisée qui reprend le manteau du vieil Elie. De la même manière qu’Elisée a poursuivi à sa manière l’œuvre d’Elie, les générations d’aujourd’hui sont appelées à continuer le travail de réconciliation qui a tant marqué les hommes et les femmes de l’après-guerre.

La mission de paix évangélique est exigeante. Elle appelle à savoir dépasser les a priori et les jugements trop rapides. Elle demande sagesse et persévérance. Elle appelle au défi de la rencontre. Devant ces défis, nous pouvons nous sentir faibles et démunis. Vivre en artisans de paix demande une grande force intérieure. Aux chrétiens, cette force est donnée dans la voie du Christ Jésus, dans le don de l’Esprit Saint, dans le soutien fraternel de la prière et de la fraternité dans la communion de l’Église.

Frères et sœurs, que le Seigneur nous bénisse. Que le Souffle de Dieu nous donne l’élan pour oser vivre, malgré les résistances et les oppositions, dans le témoignage de la croix de Jésus qui a tué la haine. Que le Seigneur Dieu nous donne de connaître la joie des artisans de paix dans l’Église et pour le monde. Amen.

Discours inaugural

Chers amis,

Réunis cet après-midi pour bénir et inaugurer la Grange de la Paix, nous partageons tous la conviction que l’éducation à la paix est un devoir et une responsabilité urgentes dans notre monde actuel, tenté par tant d’affrontements et de divisions. L’éducation à la paix que nous voulons servir dans la Grange de la Paix passe par une pédagogie originale. Elle se situe à la convergence de l’Évangile et du monde. Permettez-moi d’en souligner simplement trois éléments.

Notre monde post-moderne est traversé par une crise profonde qui touche à la fois au sens et à l’horizon de ce que nous vivons. Cette crise trouve, pour une part, sa cause dans notre rapport au temps. L’accélération croissante des rythmes de travail et de vie pour causes d’efficacité, de rationalité ou de recherche de biens toujours plus grandes, emporte trop de gens dans une course folle. Sollicités de toutes parts, courant après tout qui leur est proposé, beaucoup sont entraînés à aller toujours plus vite, parer au plus pressé, passer sans cesse d’une consommation à une autre. Cette course incessante aux ressources empêche les gens de s’arrêter vraiment.

Vous me direz qu’il y a heureusement le temps des vacances ou de la retraite. Mais, est-il si sûr pour autant que nous soyons capables d’appuyer sur la touche pause ? Rattrapés par les performances technologiques qui nous connectent sans cesse avec l’extérieur, sommes-nous si certains de nous libérer de la peur de perdre son temps et de l’addiction à l’activité ? Sommes-nous capables de nous arrêter vraiment ?  

La lenteur du temps nous manque, et cela a peut-être quelque chose à voir avec l’amplification de la violence. Car la guerre n’aime pas la trêve ! Or, il nous manque souvent le temps pour prendre de la hauteur et de la profondeur, le temps pour relire nos vies et réfléchir au sens de ce que nous vivons. Le temps nous manque, et c’est alors l’esprit immédiat de prédation, de domination et de violence qui peut s’insinuer dans ce grand vide.

Je souhaite que la Grange de la Paix soit, pour tous ceux et celles qui y entreront, un lieu, même pour les visiteurs qui courent du Mont saint Michel aux plages du débarquement, un espace où le temps se ralentit. Un lieu où l’on respire.

La lenteur du temps nous manque. Il nous manque aussi le silence. Si la guerre n’aime pas la trêve, elle ne supporte pas non plus le silence. Car la violence se nourrit du vacarme des invectives et des paroles creuses et dures, des colères et des accusations, des cris et des bombes.

Dans notre société de communication permanente, le brouhaha du monde ne cesse de nous agiter. Le silence devient un bien rare. Or, le silence participe à la construction de la paix. Sans la beauté du silence, c’est le travail intérieur d’une écoute attentive, d’une mise à distance de nos pulsions immédiates, de la méditation, de la contemplation et de l’apaisement dans la prière qui devient difficile. La richesse de la vie intérieure est un rempart contre la guerre. Sans elle, l’esprit de la guérilla permanente s’insinue en nous.

Un petit fait tout simple pour illustrer mon propos. L’équipe d’aumônerie de la prison de Coutances a décidé de proposer régulièrement des temps de silence aux prisonniers.
¾ d’heure sans musique assourdissante, sans promiscuité. Dans la salle, chacun peut lire un texte méditatif, dessiner ou peindre, prier. ¾ d’heure d’un temps si précieux où ces hommes, plongés dans une expérience étonnante pour eux, sont régénérés dans l’estime de soi, à l’écart de la sourde violence.

Je souhaite que la Grange de la Paix soit un lieu où l’on découvre le silence. C’est d’ailleurs pourquoi s’y trouve au centre une étonnante salle du silence.

Si les hommes et les femmes d’aujourd’hui ont besoin de renouer avec la lenteur du temps et avec le silence, ils ont besoin aussi de trouver l’esprit de rencontre. Dans ses interventions, le pape François exhorte souvent à bâtir une culture de la rencontre. Car l’absence ou le refus de la rencontre font obstacles à la paix.

La guerre n’aime pas la trêve, ni le silence. Elle n’aime pas non plus la rencontre. Elle préfère jouer sur les ruptures. Elle fait son miel des caricatures et des rejets de l’autre. Or, la rencontre, quand elle est authentique, conduit au dialogue, à la recherche partagée de la vérité, au désir de réconciliation.

Chers amis, dans ce lieu si emblématique qu’est Sainte-Mère-Église, la Grange de la Paix veut être pour les nombreux pèlerins, les visiteurs et les groupes qui passent, un cadeau précieux de l’Église. Reliée à l’église et au jardin, la Grange de la Paix veut offrir aux passants le don du temps, le don du silence et le don de la rencontre. Car nous portons en nous la conviction profonde qu’une immersion dans l’expérience de la gratuité du temps, dans l’expérience du silence intérieur et celle de la vraie rencontre, peut ouvrir les êtres au travail de la réconciliation et de la paix en eux.

Plus encore, nous croyons que dans la gratuité du temps, dans le silence intérieur et la rencontre véritable, l’Esprit de Paix du Dieu de Jésus œuvre dans les cœurs. Pour gagner la paix, la recherche d’organisations de vie collectives plus justes ne suffit pas. La conversion des personnes aux attitudes de paix est elle aussi nécessaire. La pédagogie originale de la Grange de la Paix est la manière originale par laquelle notre Église diocésaine veut donner sa contribution pour le service de la paix dans notre monde, en partenariat avec toutes les instances et les personnes de bonne volonté.

Cette mission est belle et exigeante. Elle ne peut se vivre que grâce à la participation de nombreux bénévoles et donateurs que je remercie ici chaleureusement. Puissent d’autres encore nous rejoindre. Nous en avons besoin.

Cette mission de paix et de réconciliation peut se vivre aussi grâce à la présence à Sainte-Mère-Église d’une communauté de religieuses. Depuis plus de 10 années, 4 sœurs de plusieurs congrégations ont participé généreusement avec leurs charismes différents, à l’initiation du projet de la Maison de la Paix. Qu’elles reçoivent l’expression d’une grande reconnaissance.

En septembre prochain, 4 autres sœurs, issues de deux communautés contemplatives et apostoliques, l’une catholique, le Carmel saint Joseph, l’autre protestante, les sœurs de Grandchamp en suisse, prendront le relais. Cette communauté œcuménique portera joyeusement, au milieu de tous, le témoignage évangélique et spirituel de la gratuité du temps, du silence de la prière et de la rencontre ouverte et fraternelle en Dieu. Nous en rendons grâce à Dieu.

Que le Seigneur bénisse la Grange de la Paix ! Que, par elle, l’Esprit Saint, Souffle de fraternité et de Paix, se répande dans notre monde qui en a urgemment besoin.

Amen

+ Laurent Le Boulc’h
Évêque de Coutances et Avranches.

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